La boîte à secrets
La boîte à secrets était devant moi. Je ne savais plus qu'elle était là et j'avais oublié ce qu'il y avait dedans… Petite boîte en métal piqué par le temps, elle s'ouvrait par des charnières sur le côté. La couleur vert amande était dominante et les inscriptions désuètes publicitaires me projetaient dans un passé que je n'avais pas connu. Elle gisait au fond d'un placard, abandonnée avec d'autres objets sur les étagères pratiquement vidées de leur contenu.
Elle n'était pas très lourde, et elle faisait entendre un bruit de glissement désordonné lorsque je la renversais un temps soit peu et que son poids léger se déséquilibrait de quelques grammes. La curiosité m'a touché de sa grâce.
Dans le jardin de la maison familiale
La fraîcheur du métal me faisait frissonner jusqu'à ce que ma peau s'y habitue et la réchauffe un peu. Je l'avais déposé sur mes genoux nus en cette chaude saison d'été. Je m'étais installée sur l'herbe du jardin, assise en tailleur comme lorsque j'étais enfant. Les sons de l'extérieur avaient changé, la ville avait fini par étouffer la maison de ma prime jeunesse alors que je l'avais connu isolée au fond de l'impasse, alors encore cernée par des champs. Les habitations ont fini par pousser au lieu de l'herbe des pâturages et les vaches ont abandonné les lieux au profit des adultes, des enfants, des barbecues odorants voire écœurants parfois, des voitures et autres véhicules à moteur garés pour certains dans les rues qu'on voyait depuis les hautes fenêtres de la maison.
J'ai ouvert la boîte à secrets comme on ouvre un cadeau trouvé au pied du sapin le matin de Noël, le coeur battant. Les charnières ont gémi à peine et le couvercle est retombé sur le côté. Dedans, il y avait des choses insignifiantes et qui, pourtant, ont fait remonter les souvenirs d'une enfance heureuse et joueuse.
J'ai pris entre deux doigts un dé en nacre qui avait perdu depuis longtemps le reste du jeu. Je l'ai délicatement déposé sur la frange de l'herbe qui poussait dans tous les sens et chatouillait les cuisses lorsque les jambes des shorts remontaient avec la position assise. Puis, en plongeant à la fois la main et le regard, j'ai trouvé deux images, celles que les enfants sages recevaient après un certain nombre de bons points. Derrières, il y avait le tampon de l'école, une école qui a disparu depuis longtemps. Avec ces deux images ont remonté dans ma mémoire l'odeur de la craie, le crissement sur le tableau noir qui provoquait la chair de poule lorsqu'il hurlait trop fort durant quelques secondes, les cris et les courses dans la cour, les rondes, les cahiers proprement remplis sous peine d'être puni avec plus ou moins de clémence, selon qui était le maître ou la maîtresse. Je les ai sorties et déposées sous le dé qui les retenait de s'envoler avec le vent joueur.
Une mèche de cheveux
Un ruban de satin s'est déroulé comme un serpent. Sa couleur avait à la fois jauni et pâli. Je l'ai enroulé autour de mon poignet et attaché sommairement. J'ai revu en un éclair les longues séances de brossage des cheveux longs et fins qui les rendait électrique, ce qui nous faisait tellement rire toutes les deux.
J'ai retrouvé tout au fond une photo de toi avec une mèche de tes cheveux blonds, la première coupée par maman et précieusement mise de côté dans la boîte en métal avec la mienne un peu plus foncée. La violence de revoir ton regard perdu depuis tant d'années pour une stupide brouille de sœur a fait monter dans ma gorge une boule et l'a serré fortement, faisant monter des larmes à mes yeux qui ne voyaient plus très bien derrière ce rideau lacrymal. Le vent léger venait lécher mes bras dénudés. Les piétinements de nos pieds sur le plancher de la maison ont envahi ma mémoire auditive. Nos rires, nos chahuts, les histoires que nous nous racontions le soir loin des oreilles indiscrètes en chuchotant ont résonné dans ma tête. Ta main dans la mienne me semblait si réelle…
Le retour
Quelques jours plus tard, j'ai reçu un appel téléphonique. C'était toi. Tu avais ouvert toi aussi la boîte à secrets que je t'avais envoyé par la Poste avec mon numéro de téléphone. Quelques secondes de silence ont suivi ton "Bonjour" embarrassé. Puis, très vite, nous nous sommes mises à parler en nous coupant la parole jusqu'à ce qu'un fou rire revenu depuis le fond de ces dix années de silence idiot nous interrompt en même temps. Les notes hautes que nous aimions tant faire retentir et que nous jouions à provoquer pendant ces trente dernières années sont de retour après ce silence enfin rompu.