Sa vie tient dans deux grands sacs en toile ciré. Elle les porte à chaque main. Son corps se balance à chaque pas qu’elle déploie mécaniquement. La silhouette massive et petite se tasse sur elle-même et ne se remarque pas.

Ses longs cheveux filasses tombent sur ses épaules en mèches poisseuses et grisonnantes. Elle a couvert sa tête d’un bonnet à la couleur délavée. Ses joues creusent son visage aux lèvres fines. Son regard est à peine visible dans les fentes des yeux. Elle ne regarde pas le monde, elle ne voit rien. Elle vit en elle…

Ses lèvres bougent sans cesse sur des mots qui ne franchissent pas la bouche. Ses pommettes saillantes donnent à sa figure un sourire permanent. Elle pose parfois ses sacs à terre en se penchant au sol, se redresse quelques minutes. Puis d’un air inquiet, elle les ramasse très vite. Elle avance comme si elle savait où elle va. Son aspect inquiète les passants qui préfèrent l’éviter. Elle, elle ne voit personne…

Les jeunes aiment bien se moquer d’elle. Ils la chahutent et l’attendent au même endroit. Elle ne change jamais de chemin et chaque jour, elle les rencontre. Elle ne les voit pas…

Un jour, je l’ai croisée alors que j’avais à la main une rose que j’avais cueillie dans mon jardin. J’avais enlevé les épines et je l’avais épinglée à mon corsage. Arrivée à sa hauteur, j’ai eu la surprise de voir ses yeux accrochés au velours ivoire de ses pétales. Je l’ai aussitôt retirée et je la lui ai tendue, sans y réfléchir. Elle a hésité, a posé un sac en se penchant comme un bateau qui tangue sur les vagues. Puis a tendu sa main libre. Mes mains ont effleuré sa peau sèche et rugueuse et j’ai vu le noir sous ses ongles cassés. Lorsqu’elle a pris la rose, elle l’a aussitôt portée à son visage pour la sentir. Lorsque nos yeux se sont rencontrés, ils se sont souris…

 

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