016.JPGIl fait un peu plus frais. C’est la fin d’une journée d’été. L’herbe parsemée de fleurs sauvages aux couleurs disparates ondule sous le vent. Elle imite une mer calme aux vagues fines dont l’aspect de velours donne l’envie de s’y noyer.

 

 Un coquelicot fin et fragile, au cœur noir enserré par le rouge des pétales se penche vers une pierre qui se sent un peu seule. « Que t’arrive-t-il ? » dit-il avec sollicitude. « Tu m’as l’air bien pensif, ta mine est toute grise et tu sembles te dessécher d’ennui. » La pierre répond par un soupir, puis : « J’envie ta fraîcheur et tes couleurs. Tu es si beau et tu plais à tout le monde, alors que moi… on me pousse du pied, on me jette ou on m’ignore. » Puis elle pousse encore un soupir. Le coquelicot se rengorge sous les compliments, puis reprend : « Je suis beau, sans doute, il est vrai. Mais je tremble toujours qu’on me cueille car ainsi, ma vie serait raccourcie. Elle est déjà éphémère, juste le temps d’un été. Toi, tu es là depuis si longtemps. Rien ne peut te détruire. Tes couleurs sont grises et banales et on ne te remarque pas, à moins de marcher sur toi et de se blesser. Mais tu vis éternellement ! »

 

La pierre aux formes anguleuses réfléchit, puis continue ainsi : « Certes. Mais quelle sorte de vie est-ce donc que de ne pas être remarqué sinon pour être jeté ? Et le pire, c’est d’avoir un cœur de pierre. J’éprouve peu de sentiments. A peine puis-je ressentir l’ennui, mais rien d’autre. Toi, tu es tout gracile et tu attires l’affection. Quel est alors le mieux ? Vivre éternellement sans rien ressentir sinon le vide ou bien vivre le temps d’une saison, et connaître les plaisirs de connaître l’admiration et l’intérêt des autres ? »

 

Le coquelicot balance à droite, à gauche et encore à droite sous la réflexion. Son cœur d’encre parait plus noir encore et enfin, il répond ceci : « Chère amie, crois-tu que je ne me sens pas seul ? Que m’importe l’admiration si on m’arrache à ma vie et à ma liberté ? Ma vie est éphémère et le peu qu’elle doit être, je n’ai qu’une envie, c’est d’être entouré des autres fleurs des champs, de l’herbe douce et des pierres grises et tranchantes sous le soleil et dans le vent qui m’apporte les odeurs d’endroits lointains que je ne connaîtrais jamais. Si d’aventure on t’emporte et qu’on te déplace, tu resteras sans doute dehors, dans la liberté de respirer le monde. Mon choix serait alors vite fait ! Je choisis la liberté même en ayant une allure de pierre froide et insensible plutôt que d’être capturé parce que mes couleurs éclatantes attirent l’attention sur moi au risque de terminer dans le silence d’un monde qui ne m’appartient pas. »

 

Le silence se fait. La pierre laisse l’ombre des arbres la recouvrir un peu plus et l’habiller d’une couleur sombre. Le coquelicot se remet à onduler sous le souffle du soir et rassemble légèrement ses pétales rubis. L’annonce du soir se fait imperceptiblement et avec elle l’assurance de ne pas être vu.

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